Plateformes participatives en ligne : les nouveaux modes d’engagement des publics

Cette dernière table ronde de la saison 2017-2018 a été organisée en collaboration avec les membres du projet de recherche « Pratiques culturelles numériques et plateformes participatives : opportunités, défis et enjeux ». Ce projet mené actuellement par une équipe du Centre Urbanisation Culture Société de l’INRS est placé sous la direction de la professeure Nathalie Casemajor et est réalisé dans le cadre d’une Action concertée du Fonds FRQSC avec le Ministère de la culture et des communications du Québec, dans le cadre du plan numérique du Québec. L’enregistrement de la table-ronde est disponible en balado diffusion en cliquant ici.

La rencontre a d’abord permis de présenter les résultats intermédiaires de la recherche en cours, puis les expériences d’acteurs des milieux culturels qui cherchent à engager leurs publics grâce aux plateformes numériques.

Romuald Jamet, chercheur postdoctoral à l’INRS, a ouvert la séance en présentant les points saillants de la recherche en cours. Ses remarques ont porté principalement sur trois points : les plateformes participatives, les fossés numériques et les stratégies déployées par les acteurs culturels. Les plateformes les plus utilisées par les acteurs culturels, et qui sont aussi les plus étudiées dans la littérature scientifique, sont des plateformes généralistes (Facebook, Twitter, Instagram, etc.) qui ne sont pas spécifiquement consacrées aux objets culturels. L’équipe de recherche a donc établi une première typologie des fonctions socio-économiques de ces plateformes pour tenter de mieux saisir les enjeux, les potentiels et les défis que pourront tirer l’ensemble des usagers et des professionnels des différentes fonctionnalités de celles-ci. Par ailleurs, la participation des publics apparaît largement conditionnée par trois types de fossés numériques distincts : une inégalité dans l’accès aux équipements nécessaires à la participation numérique ; une inégalité quant à la maîtrise des outils numériques (littéracie numérique) ; et une différenciation de nature plus qualitative au niveau des usages. Les études consultées tendent à montrer que les deux premiers fossés numériques reproduisent la structure des inégalités sociales et économiques. Les stratégies des acteurs culturels par rapport à ces plateformes peuvent pour leur part être pensées autour de deux termes, soit la médiation et la ludification. Ceux-ci évoquent des stratégies qui visent à faire participer les publics par la classification et la recommandation et à abattre les barrières techniques qui freinent l’appropriation des œuvres par le public.

 

Émile Gauthier et Sébastien Lévesque du balado Distortion ont par la suite présenté leur projet d’« histoires étranges à l’ère numérique ». Ce projet est né d’un intérêt pour les histoires sombres et mystérieuses qui circulent sur le web, mais aussi d’un désir de réunir une communauté de gens qui s’y intéressent. L’un des défis du projet tient à son développement de manière indépendante ce qui impose des moyens limités par rapport aux grandes institutions culturelles. Malgré tout, dans la dernière année, le balado a connu de plus en plus de notoriété auprès non seulement du milieu des autres balados, mais également dans les médias traditionnels (radios et journaux). Pour ses créateurs, la qualité de leur contenu explique avant tout ce succès. Une stratégie de découvrabilité a également été déployée à travers l’utilisation des plateformes numériques, notamment les réseaux sociaux que sont Facebook, YouTube, Twitter et Instagram. Les deux créateurs expliquent également une partie de leur succès par leur implication personnelle dans les interactions avec la communauté ce qui entraîne un phénomène d’attachement au produit proposé et à la communauté qui y est associée.

https://distorsionpodcast.com

 

Benoit Migneault et Geneviève Lajeunesse-Trinque de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) ont présenté pour leur part le projet Le Square, un médialab destiné à la clientèle adolescente. Le projet vise à mettre en place un laboratoire de création médiatique et un lieu de collaboration physique et numérique pour les adolescents. En effet, Le Square offre un ensemble d’outils technologiques avec lesquels les jeunes peuvent expérimenter, ainsi qu’une vitrine pour diffuser les contenus créés et les processus de création suivis par les utilisateurs. De plus, pour remplir son mandat provincial, BAnQ a souhaité mettre en place une plateforme participative virtuelle qui permet de collaborer à distance et d’animer la communauté qui gravite autour de cet espace virtuel. Le Square cherche à abattre toutes les barrières qui peuvent entraver la créativité des jeunes utilisateurs, que ce soit en matière d’accès aux équipements et de savoir-faire quant à leur utilisation tout en privilégiant une approche progressive dans laquelle les jeunes peuvent graduellement s’approprier les espaces et les équipements mis à leur disposition. La plateforme participative créée par BAnQ est maintenant rendue disponible aux autres institutions publiques québécoises, dans le but que celles-ci puissent créer à leur tour des plateformes comparables.

http://square.banq.qc.ca

 

Les échanges avec le public ont permis d’aborder plusieurs questions. D’abord, certains intervenants soulèvent la question des stratégies à mettre de l’avant pour faire vivre les plateformes. Les concours ou les partenariats avec d’autres organismes peuvent certainement contribuer à augmenter le nombre d’utilisateurs, mais il demeure essentiel d’avoir des ressources humaines pour animer les communautés. Les publics adolescents qui utilisent la plateforme du Square ne sont généralement pas enclins à servir de relais vers les réseaux sociaux. En revanche, la communauté qui s’est formée autour de Distortion est très active sur les réseaux sociaux, que ce soit pour suggérer du contenu ou participer à des conversations qui, parfois, dépassent les deux animateurs principaux. Le suivi de l’activité de ces communautés peut toutefois s’avérer difficile à effectuer puisqu’il demeure ardu d’obtenir des données significatives pour bien saisir l’activité des participants.

Cette culture numérique qui s’élabore sur les plateformes participatives est souvent faite d’emprunts et de remixages, des pratiques qui peuvent apparaître transgressives dans certains cas. Or, les animateurs du Square observent que les adolescents sont généralement respectueux des droits d’auteur associés aux produits culturels tout autant que du matériel mis à leur disposition pour créer leurs propres œuvres. En définitive, on note que l’évolution des pratiques dans le domaine numérique bouleverse l’économie des biens culturels, mais peut également mener à une reconfiguration des liens communautaires.




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