Les politiques culturelles au Québec

L’évolution des politiques culturelles au Québec se démarque nettement des tendances et dynamiques de l’ensemble canadien, autant de l’action fédérale que de celle des autres provinces canadiennes. Au Québec, l’intervention du palier par rapport à celle des gouvernements central et local y est notamment beaucoup plus déterminante que ce qui s’observe ailleurs au Canada et même dans la plupart des pays occidentaux. Une grande partie des politiques culturelles fédérales ne s’expliquent en outre qu’à la lumière de la dynamique culturelle québécoise, tout particulièrement au cours des années 60 et 70, décennies marquées par une rivalité accrue entre les deux paliers de gouvernement sur les fronts aussi bien culturel que constitutionnel. On s’attardera donc non seulement ici à l’évolution des politiques culturelles québécoises au sens strict – en particulier à celle de son ministère des Affaires culturelles, aujourd’hui ministère de la Culture et des Communications (MCCQ, 1994) -, mais encore à l’action croisée des politiques culturelles, tant fédérales que provinciales, au Québec.

Les antécédents de la politique québécoise

Les politiques culturelles des deux paliers prennent véritablement leur envol au Québec à partir des années 60 dans la foulée de la RÉVOLUTION TRANQUILLE. Des actions gouvernementales n’en existent pas moins bien avant, et celles du gouvernement provincial diffèrent déjà sensiblement de celles du gouvernement canadien. Alors que l’action fédérale se structure principalement à partir du secteur des communications, de juridiction fédérale, et du patrimoine (MUSÉES NATIONAUX, BIBLIOTHÈQUES et ARCHIVES NATIONALES, PARCS NATIONAUX), l’action québécoise s’organise initialement à partir des secteurs de l’éducation et de la formation professionnelle (enseignement des arts, conservatoires, marché du livre et bibliothèques scolaires) et bientôt du secteur municipal (loisirs, activités socioculturelles, bibliothèques), tous deux de juridiction provinciale. Le secteur de l’éducation, comme celui des loisirs, relève très largement du clergé jusqu’à la création du ministère de l’Éducation en 1964, période où l’État est amené à prendre le relais. Le gouvernement s’y trouve néanmoins impliqué dès le début du XXe s. et est amené à constituer, dès la première moitié du siècle, l’embryon d’un réseau séculier d’éducation publique. La création d’écoles techniques et les efforts de développement d’un enseignement professionnel supérieur (École d’arpentage, en 1907; École forestière et École des hautes études commerciales, en 1910) seront suivis d’un ensemble d’autres mesures, tout spécialement à partir de la Seconde Guerre mondiale. Dans le domaine spécifiquement culturel, la nomination d’Athanase David, en 1922, au poste de Secrétaire de la Province du gouvernement TASCHEREAU, contribue aussi à accentuer l’engagement provincial dans le domaine des arts. La gestion subséquente du Secrétariat par Jean Bruchésie, sous-secrétaire de façon ininterrompue de 1937 à 1959, sous Maurice DUPLESSIS comme sous Adélard GODBOUT, contribue également à assurer une certaine continuité dans les actions gouvernementales. Cette période voit ainsi la création de plusieurs institutions et programmes liés au secteur scolaire: cours facultatifs de dessin dans l’enseignement primaire élémentaire (1920); Écoles des beaux-arts à Montréal et Québec (1921); École des arts graphiques (1942); Conservatoires de musique (1943) et de théâtre (1954) à Montréal et Québec (voir CONSERVATOIRE DE MUSIQUE ET D’ART DRAMATIQUE DU QUÉBEC). À ces mesures touchant au champ éducatif, s’ajoutent la création de prix littéraires et scientifiques (1922) et l’implication dans un certain nombre d’institutions culturelles: Commission des monuments historiques (1922), MUSÉE DU QUÉBEC(1933); acquisition de la bibliothèque Saint-Sulpice (1941), qui devient Bibliothèque nationale du Québec en 1967; adoption d’un embryon de législation favorisant le développement de bibliothèques publiques municipales au cours des années 50. Ces formes initiales de « mécénat » gouvernemental anticipent, pour la communauté francophone du Québec, le passage de l’autorité culturelle de l’Église à celle de l’État qui s’accomplit à partir des années 60 au cours desquelles la culture va finalement se développer sur une base essentiellement laïque.

Entre l’éducation, de juridiction surtout provinciale, et les communications, surtout fédérale, le centre de gravité véritable de l’autorité « culturelle » se révèle bientôt une zone grise fortement disputée par les deux ordres de gouvernement. Et l’ambiguté entourant la répartition des pouvoirs est perceptible avant même les années 60. Dans le secteur des communications, le gouvernement provincial refuse notamment depuis toujours de laisser tout le champ libre à l’État fédéral. La législature québécoise adopte ainsi, dès 1929, la première loi canadienne sur la radiodiffusion et, en 1945, une loi prévoit déjà la création de Radio-Québec (Télé-Québec depuis 1995). Freiné par l’administration fédérale, l’organisme ne voit cependant le jour qu’en 1969 et ses premières stations n’émettent qu’à partir de 1975. De son côté, l’action fédérale tend aussi à pénétrer le champ de l’éducation, en cherchant notamment, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à soutenir directement l’éducation supérieure par des subventions directes aux universités et aux chercheurs. Cette volonté fédérale, affirmée depuis la COMMISSION ROYALE D’ENQUÊTE SUR L’AVANCEMENT DES ARTS, DES LETTRES ET DES SCIENCES AU CANADA (1949-1951), présidée par Vincent MASSEY, et le refus du gouvernement de la province de s’y soumettre, sont à l’origine de la COMMISSION ROYALE D’ENQUÊTE SUR LES PROBLÈMES CONSTITUTIONNELS (1953-1955), présidée par Arthur TREMBLAY. Créée par Maurice Duplessis pour contrer l’offensive fédérale, cette Commission aura finalement été, contre toute attente, le lieu d’une critique systématique du système d’éducation québécois.

Les particularités de la politique culturelle québécoise

La création d’un ministère des Affaires culturelles, en 1961, et la mission originelle qui lui est impartie, sont exemplaires de l’importance toute particulière que les gouvernements québécois successifs accordent, à partir de cette date, à cette dimension de l’action publique. Le MACQ est en effet destiné, selon les termes alors employés par le premier ministre Jean LESAGE, à devenir le « ministère de la Civilisation canadienne-française et du fait français en Amérique ». George-Émile Lapalme, premier titulaire de ce ministère, et Guy FRÉGAULT, sous-ministre en titre de façon quasi ininterrompue jusqu’en 1975, y voyaient non seulement un instrument de développement des activités et des institutions culturelles québécoises, mais surtout un outil privilégié d’affirmation de l’identité canadienne d’expression française. À sa création, le MACQ recouvre ainsi un ensemble de fonctions de soutien aux arts et lettres, relevant autrefois soit du ministère de la Jeunesse, soit du Secrétariat de la province. S’ajoutent deux organismes – l’Office de la langue française (OLF) et le Département du Canada français outre-frontières – qui démontrent la volonté du Québec d’assurer le rayonnement de la culture québécoise d’expression française aux plans national et international.

Le fait que le gouvernement québécois ait consacré nommément un ministère à la culture constitue une autre originalité à l’échelle canadienne. L’action culturelle fédérale apparaît à ce titre à la fois plus tardive et plus indirecte. Les divers organismes culturels fédéraux ne seront en effet intégrés à la structure ministérielle que très progressivement, d’abord au sein d’un Secrétariat d’État (1963), avant de passer successivement sous la responsabilité du ministère des Communications (1980) et, plus récemment, sous celle du Patrimoine canadien. Bien que le Québec ne soit pas le premier gouvernement provincial à se doter d’un instrument d’intervention en matière de culture – la Saskatchewan a créé son Conseil des arts dès 1949 – il est sans doute le premier et sans contredit le seul à lui donner une signification politique et identitaire aussi nette. Sur ce point, la succession de livres ou projets de livres, blanc (Pierre LAPORTE 1965), vert (Jean-Paul L’Allier, 1976) et encore blanc (Camille LAURIN, 1978), de même que la plus récente politique culturelle du Québec (Liza Frulla-Hébert,1992) témoignent de la préoccupation constante et réitérée d’affirmation culturelle nationale via ce ministère. Elles traduisent également une recherche de cohérence visant à intégrer les multiples dimensions de l’action culturelle dans une politique globale, ce qui n’est pas non plus courant à l’échelle canadienne. À une action fédérale pour ainsi dire à l’anglaise, se développe parallèlement une action québécoise à la française. Créé peu de temps après le ministère français de la Culture (1959), et sur le même modèle, le MACQ se démarque d’entrée de jeu de l’approche adoptée initialement dans le reste du Canada, plus souvent inspirée de modèles britanniques. Le gouvernement fédéral, dans la perspective du arms’ length, tend ainsi à déléguer le pouvoir décisionnel à des organismes sectoriels – CONSEIL DES ARTS DU CANADA, SOCIÉTÉ RADIO-CANADA, OFFICE NATIONAL DU FILM, Musées nationaux, etc. – dont l’action recouvre, à peu de chose près, les différents secteurs d’activités culturelles professionnelles le plus souvent regroupés en milieux métropolitains. L’action provinciale, au contraire, réunit initialement au sein d’un même organisme ministériel un ensemble de fonctions culturelles plus large et favorise un arrimage plus étroit à l’administration publique et au pouvoir politique. Elle vise également à couvrir l’ensemble du territoire québécois et est amenée à se justifier en termes de démocratisation et de décentralisation. Bien que le MACQ évolue progressivement en se concentrant davantage sur des fonctions de soutien aux activités artistiques et médiatiques au sens strict, c’est le plus souvent de lui que naîtront un ensemble d’organismes et ministères à vocation culturelle au sens plus large, notamment en matière d’immigration, de relations internationales et de promotion de la langue française.

Les rivalités culturelles fédérales-provinciales au Québec

L’action croisée des deux niveaux de gouvernement et le climat politique au Québec vont contribuer, à partir des années 60, à faire de la culture non seulement un objet d’administration publique à part entière, mais un véritable enjeu politique. De qui doit dépendre l’évolution de la culture au Québec? Du gouvernement d’un Canada majoritairement anglais ou de celui d’un Québec majoritairement français? Aiguillonnés par la question linguistique, les deux niveaux de gouvernement sont ainsi amenés à intervenir beaucoup plus directement dans le champ culturel et bientôt à s’y confronter. L’action provinciale se caractérise par la création de l’OLF (1961), suivie par une succession de législations linguistiques (Loi 63 en 1969, Loi 22 en 1974) et culmine avec la Charte de la langue française en 1977 (LOI 101). Sur le plan fédéral, c’est l’époque de la COMMISSION ROYALE D’ENQUÊTE SUR LE BILINGUISME ET LE BICULTURALISME (1963-1969), coprésidée par André LAURENDEAU et Davidson DUNTON, qui débouche, au début des années 70, sur une politique des langues officielles et les premières mesures en faveur du multiculturalisme. La culture devient dès lors le terrain privilégié d’affrontement de deux nationalismes que le recours à des conceptions et des approches différentes de l’action culturelle vient renforcer. Mais, de façon plus complexe, la dynamique peut aussi se résumer à cette autre tendance, double et qui suit des logiques inverses: d’un côté, l’État fédéral s’inspire progressivement du modèle du ministère de la Culture; de l’autre, l’État provincial adopte plus d’un comportement de l’État fédéral; il a notamment tendance à déléguer plus de pouvoirs aux milieux professionnels et à des organismes autonomes.

L’implication nouvelle du gouvernement québécois dans les années 60 débouche tout d’abord sur un certain retrait du fédéral dont l’intervention était déjà bien établie. Si la mission provinciale est plus large, ses moyens sont aussi nettement plus réduits. Jusqu’au milieu des années 70, le fédéral conserve l’initiative et tend même à essouffler sur le terrain un gouvernement québécois à la traîne, par ailleurs bousculé par les mobilisations nationalistes d’une fraction importante des milieux culturels et intellectuels qui, globalement, en viennent à réclamer un plus fort leadership québécois en cette matière. La tenue, en 1975, d’un Tribunal de la culture, présidé par le sociologue Marcel Rioux, avec Gérald GODIN à titre de secrétaire, aura ainsi surtout été l’occasion d’un procès du MACQ. D’un côté on réclame l’exclusivité des pouvoirs culturels pour le Québec, mais de l’autre on se méfie de l’inefficacité du ministère québécois qui en a la charge, en lui proposant comme exemple l’action fédérale, mieux dotée et moins directive. La prise du pouvoir par le PARTI QUÉBÉCOIS, en 1976, marque à cet égard un point tournant avec la création, la même année, d’un ministère d’État au développement culturel. En 1978 est publiée une politique globale de d« éveloppement culturel » à laquelle ont contribué des intellectuels aussi influents que Fernand DUMONTet Guy ROCHER. Ce super ministère regroupe, outre le MACQ, tout ministère et organisme impliqué, à un titre ou à un autre, dans ce secteur. Bien que d’existence relativement brève – elle disparaît en 1982 – cette structure de coordination aura eu pour effet de diffuser à l’ensemble de l’appareil gouvernemental un souci de la culture jusque là plus confiné. Le gouvernement provincial effectue également à partir de ce moment là un important rattrapage en terme d’investissements. De 1977 à 1994 (année précédant la fusion du MACQ et des Communications), la part du budget québécois consacrée à la culture va doubler, passant de 0,4 p. 100, niveau où elle se maintenait depuis le début des années 60, à 0,8 p. 100. La contribution provinciale aux dépenses culturelles au Québec, de négligeable qu’elle était somme toute au début des années 60, devient déterminante, voire dominante dès qu’on exclut le secteur de la radiotélévision (RTV). L’estimation des dépenses des différents paliers au Québec varie en effet considérablement selon que l’on inclut ou non ce poste. En 1997, en incluant la RTV, la part provinciale représente 31 p. 100 des dépenses globales estimées à 1,5 milliard, contre 53 p. 100 au fédéral et 16 p. 100 aux municipalités. En l’excluant, elle domine au contraire sensiblement, comptant pour 40 p. 100 d’un total de 976 millions, contre 35 p. 100 au fédéral et 25 p. 100 au municipal.

Par rivalité ou synergie, l’action croisée des deux paliers atteint ainsi une sorte de point d’équilibre financier, au moment même par ailleurs où le modèle de l’État-providence commence à connaître de profondes remises en cause. Depuis le RÉFÉRENDUM DE 1980, les milieux culturels sont, pour leur part, amenés à cibler des enjeux beaucoup plus nettement « professionnels » que « nationalitaires ». On réclame 1 p. 100 du budget de l’État (québécois) pour la culture. On lutte pour une amélioration du statut de l’artiste. C’est dans ce contexte qu’est engagé, au début des années 90, un vaste processus de restructuration de la politique québécoise qui conduit notamment, en 1994, à la fusion du MACQ et des Communications et à la création de deux entités relativement autonomes: la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) – dont relève aujourd’hui le soutien aux entreprises privées – et le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), dédié aux artistes individuels et aux organismes artistiques. Le nouveau ministère de la Culture et des communications, dont relève maintenant Télé-Québec, conserve pour sa part la responsabilité de l’ensemble de l’infrastructure de diffusion culturelle – bibliothèques, musées, salles de spectacles – dont il continue à s’occuper aussi de façon plus directe dans un certain nombre de cas: la Bibliothèque nationale, des salles de spectacles comme la PLACE DES ARTS (1964) ou le Grand Théâtre de Québec (1970) ainsi que les trois musées d’État que sont le Musée du Québec, le MUSÉE D’ART CONTEMPORAIN(créé en 1964) et le Musée de la civilisation de Québec (inauguré en 1990). Il administre aussi, depuis 1981, une ambitieuse politique d’intégration des arts à l’architecture qui engage l’ensemble des organismes et ministères à réserver un pourcentage du budget lors de la construction ou de l’agrandissement d’immeubles.

Le nouveau MCCQ disposait d’un budget de 423 millions de dollars en 1999. L’ancien MACQ disposait, quant à lui, au moment de l’intégration des communications, en 1994, de 329 millions de dollars contre 39 millions en 1976. Même en tenant compte de l’inflation, cette croissance fait état d’un effort remarquable. Mieux pourvu mais délesté de bon nombre de ses fonctions, et des plus politiques (langue, immigration, relations internationales) assumées aujourd’hui à partir d’autres lieux de l’Administration publique, ce nouveau ministère recentré sur le soutien des activités culturelles, artistiques et médiatiques, ne peut plus de la sorte être aussi nettement assimilé à ces dimensions identitaires auxquelles le destinaient ses fondateurs.




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