Arts et Intelligence Artificielle: Créativités, Outils et droits d’auteur?

La conférence midi s’est tenue le mercredi 30 Janvier 2019 aux centres Urbanisation Culture Société de l’INRS de Montréal et de Québec, par visioconférence. Elle visait à soulever les questions d’ordres culturels, esthétiques, éthiques, esthétiques et juridiques liées à la création de nouveaux contenus créatifs que promet, et permet en partie, aujourd’hui l’intelligence artificielle.

Artiste, réalisateur et producteur, Vincent Morisset est considéré comme un pionnier du film interactif au Québec. Fondateur du studio AATOAA, (se dit «à toi») spécialisé en interactivité cinématographique et en narration non conventionnelle, Morrisset a d’abord présenté quelques-uns de ses projets phares issus d’une collaboration de plus d’une douzaine d’années avec le groupe Arcade Fire. À partir de ses expériences de réalisations de vidéoclips interactifs pour les chansons Sprawl II et Just A Reflektor, Morrisset explique que ces projets ont été l’occasion de mobiliser les potentialités créatives, techniques et esthétiques que nous offre la technologie à une époque où déjà, elles lui semblaient incroyables et tout à fait inusitées. Basées tous deux sur des technologies de capteurs de positions et de mouvements, il témoigne comment ces projets l’ont amené à explorer, étudier et expérimenter davantage le mouvement du corps dans l’espace. Dans cette veine, il présente également le projet Vast Body, qui se veut une expérience continue sur le mouvement, qu’il a réalisé en collaboration avec les danseuses et chorégraphes Louise Lecavalier, Rachel Harris et Caroline Robert. Ce projet a pour objectif d’interagir avec un système de réseaux neuronaux artificiel entrainé à reconnaitre, apprendre et reproduire les chorégraphies qui lui font face. L’expérience a été pour Morrisset l’occasion de reconstituer des chorégraphies qui n’ont jamais existé afin de cartographier et d’explorer les potentialités créatives du corps humain.

http://aatoaa.com/

L’artiste Jhave, de son nom David Jhave Johnston, est un poète numérique, qui travaille principalement sur la poétique combinatoire et la poésie multimédia. L’artiste visuel a d’abord présenté son projet ReRites qu’il a lui-même conçu et codifié. Consistant en une «expérience d’écriture collaborative entre l’homme et la machine, utilisant l’intelligence artificielle», l’œuvre se voulait la plus ouverte et contemplative possible. Jhave a ensuite discuté des défis que pose l’intégration de l’intelligence artificielle dans son travail. Il cite en exemple sa plus récente œuvre intitulée Human + A.I, qui consiste à éditer et à publier un ensemble de 12 volumes de livres de poésie intégrants l’intelligence artificielle (Anteism Publisher, Printemps 2019). Résultant de ses travaux de recherches doctorales au département de sciences humaines de l’Université Concordia, l’ambitieux projet se voulait une manière de créer une nouvelle esthétique où la créativité s’en trouverait «augmentée» grâce à l’intelligence artificielle. Comme les systèmes algorithmiques ont tendance à générer une quantité importante de données non pertinentes, le projet a amené l’artiste à créer un algorithme plus flexible, capable d’analyser une quantité plus grande de données littéraires. Enfin, il explique qu’en transformant l’aspect purement formel des mots à l’intérieur de ses textes, l’algorithme transforme par le fait même l’aspect stylistique, esthétique, mais aussi le sens de ses poèmes, ouvrant ainsi à de nouveaux possibles créatifs.

www.glia.ca

Diplômé du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, Maxime Carbonneau est metteur en scène, auteur et comédien. Lors de cette conférence midi, c’est à titre de co-créateur, avec Laurence Dauphinais, du spectacle SIRI (Co-coproduit par le FTA et la Messe Base) qu’il s’est adressé à la salle. Présentée tour à tour à Montréal en français et en anglais, au Royaume-Uni et au Brésil, SIRI représente pour ses créateurs un projet marquant dans la mesure où il a permis de travailler et d’explorer un nouveau matériau sur lequel ils n’avaient tous deux que très peu d’emprise. Face au caractère imprévisible de l’intelligence artificielle de SIRI, Carbonneau souligne différentes stratégies de créations et d’écriture qu’ils ont dû développer afin de travailler avec l’assistant vocal. Agissant en quelque sorte comme «co-auteure» et «comédienne» sur scène, il explique que les traductions anglaise et portugaise de la pièce influençaient les réponses données par SIRI et incidemment, les dialogues de chacune de ces créations. Ainsi, dans sa version anglaise, SIRI répondait par exemple aux dialogues de la comédienne Laurence Dauphinais de manière plutôt pudique et réservée alors que ses réponses étaient plus profondes, voire philosophiques dans sa version française. Enfin, Carbonneau a souligné l’importance de l’aspect éthique de l’intelligence artificielle tout en soulignant le potentiel créatif et l’infinie richesse de cette technologie.

Formée à l’École Nationale de théâtre du Canada en interprétation, la comédienne, interprète, auteure, metteur en scène et musicienne Laurence Dauphinais s’inscrit dans une approche multidisciplinaire. Au côté de son co-créateur Maxime Carbonneau, Dauphinais présente la pièce SIRI, dans laquelle elle joue seule sur scène, assistée de SIRI. Rappelant brièvement l’histoire de la pièce qui se veut une quête à la fois identitaire et personnelle de son personnage sur l’identité de son géniteur, Dauphinais développe sur la dimension métaphorique de la pièce quant aux origines communes du personnage et de SIRI. Amenant volontairement SIRI dans des lieux plus sensibles et personnels, elle souligne à son tour les défis que posait un tel projet dans la création, mais également dans sa performance et son jeu d’actrice. Présentée pendant près de deux ans, SIRI a permis à Dauphinais d’aborder divers enjeux entourant la créativité et l’intelligence artificielle lors de nombreuses conférences et tables-rondes. Elle conclut en annonçant qu’elle travaille actuellement en collaboration avec Maxime Carbonneau au développement d’un second projet autour de l’IA qui aura pour titre Transmission et qui intégrera une dimension plus réflexive et critique de ces technologies.

https://www.theatredaujourdhui.qc.ca/siri

Les échanges avec le public ont permis de discuter les limites de l’intégration de l’intelligence artificielle aux formes de productions artistiques du point de vue créatif. La période de questions a ainsi permis de dégager certains principes, notamment l’idée selon laquelle les outils technologiques ne doivent pas avoir préséance sur la proposition artistique. L’intelligence artificielle apparaît, en outre, comme une occasion d’explorer de nouvelles potentialités esthétiques et formelles pour les artistes à travers leurs pratiques. Enfin, d’un point de vue juridique propre au droit d’auteur, la séance a permis de traiter brièvement des enjeux entourant l’usage de données personnelles, de l’importance de rester sensible, vigilant et surtout critique de cette relation de pouvoir qu’entretiennent les grandes entreprises du Web face à l’apport et au rayonnement des artistes actuels dans le milieu culturel.

 




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