Institutions culturelles et immigration : quelle place pour les nouveaux arrivants ?

La conférence midi « Institutions culturelles et immigration : quelle place pour les nouveaux arrivants ? » s’est tenue le mercredi 28 mars 2018 au centre Urbanisation Culture Société de l’INRS de Montréal, avec visioconférence au centre de l’INRS à Québec. L’enregistrement de la table-ronde est disponible en balado diffusion en cliquant ici.

Cette rencontre visait à explorer les enjeux relatifs à la mise en place d’activités culturelles destinées à des publics de nouveaux arrivants. Alors que la culture est de plus en plus reconnue comme un vecteur contribuant à l’accueil, voire à l’intégration d’immigrants nouvellement arrivés, mais que bien peu d’études documentent véritablement le sujet, il s’agissait de laisser la parole à des représentantes d’organismes culturels qui proposent des projets en ce sens, ainsi qu’à un acteur du milieu de l’immigration engagé dans des initiatives culturelles pour qu’ils partagent les expériences qu’ils ont vécues, les défis, difficultés et questionnements qu’ils ont rencontrés.

Kathia St-Jean, directrice générale de La Vitrine, et Mélissa Laporte-Parenteau, responsable du Passeport MTL étudiant international, étaient présentes pour discuter de ce programme initié par l’ancienne DG de l’organisme, Nadine Gelly, et lancé en 2017. Conçu pour favoriser la participation d’étudiants internationaux à des activités culturelles contribuant à leur découverte de la métropole et, éventuellement, à leur désir de s’y établir durablement, le Passeport donne accès à des évènements de réseautage comme des sorties de groupe et des rallyes culturels dans la ville, à des entrées gratuites dans certaines institutions, ainsi qu’à des crédits applicables à l’achat de billets de spectacles. Ce programme implique un important réseau de partenaires économiques et culturels (Banque de Montréal, Montréal international, organismes culturels, etc.) dont les différents objectifs révèlent l’imbrication de plusieurs enjeux derrière ce Passeport : diversification et rajeunissement des publics de la culture pour les uns, rétention des étudiants internationaux après leurs études pour les autres. Les discussions de La Vitrine avec de nombreux organismes culturels ont permis de constater un désir somme toute répandu dans le milieu des arts et de la culture de s’impliquer dans des projets pour de nouveaux arrivants, mais les capacités se révèlent souvent limitées pour agir seul à cet égard. L’heure est par ailleurs à la réflexion à La Vitrine, après une année d’existence du Passeport ; la pérennité de l’initiative sur le plan financier, l’offre proposée par rapport aux intérêts des étudiants internationaux visés, tout comme la mise en œuvre concrète des activités et la possibilité de les bonifier par des actions de médiation culturelle sont autant de questions qui sont actuellement étudiées.

http://passeportmtletudiant.com

 

Laetitia Matrat, agente de programmation culturelle à La TOHU, a pour sa part discuté de diverses initiatives conçues pour de nouveaux arrivants dans cet organisme situé dans le quartier Saint-Michel, où le paysage sociodémographique est particulièrement diversifié et façonné par l’immigration. Beaucoup d’efforts sont consacrés aux activités de médiation culturelle, en amont comme en aval des évènements auxquels sont conviés de nouveaux arrivants, et ce, afin de les préparer à la visite de La TOHU, au contenu du spectacle qui sera présenté, mais aussi pour revenir sur des questions que l’expérience peut susciter. La TOHU s’associe à de nombreux organismes du quartier qui agissent comme agents de liaison avec les nouveaux arrivants, mais aussi partenaires de programmation et collaborateurs dans la mise en place de divers projets. Il a tout particulièrement été question du projet La Falla, étant donné ses nombreuses retombées positives pour les nouveaux arrivants qui y participent selon Laetitia Matrat. Cet évènement, qui s’échelonne sur plusieurs semaines d’ateliers de fabrication d’objets ensuite intégrés à une structure géante brûlée lors d’une fin de semaine de festivités en été, permet non seulement la découverte de La TOHU et de ses activités, mais aussi de nombreuses rencontres humaines, voire la révélation de nouvelles passions et de talents chez les participants. Enfin, bien que La TOHU présente un historique d’expériences concluantes assez nombreuses, Laetitia Matrat rappelle néanmoins que le travail auprès de nouveaux arrivants en est un de longue haleine et qui implique un perpétuel recommencement, étant donné la rapidité et le caractère changeant des vagues d’immigration.

http://tohu.ca/fr/

 

Richard Nicol a quant à lui témoigné d’une expérience en milieu communautaire de l’immigration, au sein duquel il œuvre depuis plus de trente ans comme organisateur, accompagnateur et médiateur dans le cadre de nombreuses activités culturelles. Pendant son mandat à La Maisonnée, l’une des plus importantes organisations d’accueil de nouveaux arrivants à Montréal, Richard Nicol a créé un comité de la vie communautaire mettant en relation des nouveaux arrivants et des Québécois natifs, afin qu’ils développent ensemble des projets culturels. Au cours des 5 années d’existence de ce comité, plusieurs activités ont été organisées : des soirées sur le conte, des sorties au théâtre et au musée, un cinéclub, un club de lecture, des excursions hors Montréal pour faire découvrir le Québec et ses festivals régionaux, etc. L’objectif de cette initiative était de favoriser la proactivité des personnes impliquées, de permettre la co-construction de savoirs et l’apprentissage mutuel entre nouveaux arrivants et Québécois natifs. Richard Nicol a par ailleurs souligné les nombreux défis qu’il a rencontrés, notamment relatifs aux moyens très limités dont il a bénéficié pour mener de telles actions, le milieu de l’immigration misant bien davantage sur les enjeux d’emploi, d’établissement résidentiel, d’éducation ou encore de services de santé que sur ce qui a trait à la culture. Ainsi, l’inventivité et la débrouillardise se sont révélées essentielles à la mise en place de plusieurs de ses initiatives culturelles, sans compter la flexibilité et la capacité d’adapter cette offre aux besoins et contraintes des participants. De ce travail de terrain est né le désir de mener une réflexion plus systématique sur le sujet ; Richard Nicol a ainsi initié un projet de recherche partenariale sur le rôle du loisir dans l’intégration des nouveaux arrivants, auquel contribuent actuellement des chercheurs de l’Université du Québec à Trois-Rivières et de l’Université de Montréal, en collaboration avec La Maisonnée.

Publication liée à cette recherche partenariale :

https://oraprdnt.uqtr.uquebec.ca/pls/public/docs/FWG/GSC/Publication/170/377/1765/1/119750/5/F1167968301_Bulletin_OQL___volume_14_num_ro_13___2017.pdf

 

La période d’échanges avec l’assistance a permis d’aborder d’autres dimensions du sujet, principalement celle des barrières d’accès aux activités culturelles pour les nouveaux arrivants, et celle de l’évaluation et des mesures d’impact d’actions telles que celles exposées par les panelistes.

Sur le plan des facteurs qui peuvent entraver la participation des nouveaux arrivants, Laetitia Matrat a souligné que l’une des principales sources d’appréhension qu’elle avait constatées chez les personnes venant à La TOHU n’était pas tant liée au contenu même des spectacles qu’à tout ce qui entoure la sortie : par exemple, quels sont les codes de conduite dans un tel établissement culturel, quels sont les services et installations à disposition pour les jeunes familles, etc. Kathia St-Jean a pour sa part affirmé que les hésitations de certains étudiants à prendre part aux activités du Passeport de La Vitrine étaient souvent relatives à la peur de ne connaître personne et de ne pas savoir comment interagir avec les autres participants présents. Enfin, Guy Drudi, président de La Maisonnée qui était dans l’assistance, s’est exprimé en regard de ses nombreuses années de travail auprès d’immigrants, une expérience qui lui a fait constater l’importance de la question d’accès au loisir et la force de certaines barrières psychologiques qui viennent freiner de nouveaux arrivants dans leur pratique d’activités culturelles.

L’évaluation et les mesures d’impact des actions culturelles auprès de nouveaux arrivants est un autre aspect qui a suscité beaucoup de commentaires et de réflexions suite à une question de Youssef Shoufan, cofondateur de l’organisme La Maison de la Syrie. Plusieurs défis et difficultés ont été cités par les panelistes issues du milieu culturel à cet égard, notamment l’obligation de fournir des indicateurs de performance quantitatifs aux bailleurs de fonds pour justifier ses projets, bien que de telles données ne suffisent pas à véritablement saisir la portée des actions culturelles auprès des publics visés. À ce compte, les représentantes de La Vitrine comme de La TOHU ont souligné l’importance d’informations plus qualitatives, qui peuvent adopter toutes sortes de formes et sont tantôt relativement simples à obtenir – par exemple, le témoignage direct de participants  –, mais dans d’autres cas bien plus difficiles à documenter. Laetitia Matrat a entre autres parlé des parcours de vie d’individus suite à leur participation à certaines activités culturelles, et qui sont révélateurs de l’effet que ces expériences ont pu avoir sur eux, ou encore des réactions de partenaires qui, par la récurrence de leur engagement avec La TOHU, laissent deviner la pertinence qu’ont pour eux ces projets culturels. Puis, Kathia St-Jean a rappelé qu’en dépit du désir de documenter leurs actions, les organismes culturels ne sont pas spécialisés dans la réalisation d’enquêtes telles que des sondages, ajoutant un degré de difficulté à cet enjeu de l’évaluation. Dans la salle, Marianne Coineau du Conseil régional de la culture de Laval a pour sa part fait valoir qu’au-delà de résultats à l’échelle des organismes, ce sont des outils pour documenter l’impact de la culture au sens plus large – en termes de développement social, économique, etc. – qui sont nécessaires et permettront éventuellement de positionner le milieu culturel face à ces questions d’accueil et d’intégration des nouveaux arrivants.

Du côté du milieu de l’immigration, Richard Nicol note une tranquille prise de conscience de l’intérêt et des retombées que peuvent avoir des initiatives culturelles, bien que les moyens pour les mener restent limités, en termes de ressources humaines comme financières. Les mesures d’impact ne se font en outre qu’à très petite échelle et avec les moyens du bord, par exemple en échangeant avec les nouveaux arrivants à propos d’activités auxquelles ils prennent part. À cet égard, Richard Nicol mobilise de plus en plus les réseaux sociaux, qui facilitent la diffusion de ses activités, puis le maintien du contact et les interactions avec les différents participants. Une autre technique qu’il privilégie est de rendre compte de son expérience vécue comme organisateur (non seulement dans ses réussites, mais aussi dans ses difficultés, voire ses échecs), pour sensibiliser les bailleurs de fonds aux défis existants.

En somme, les panelistes comme plusieurs membres de l’assistance ont convenu d’un important besoin d’études pour mieux saisir cette question de la pratique d’activités culturelles chez les nouveaux arrivants. La séance s’est ainsi conclue par une invitation à plus de réflexions et de recherches sur le sujet.

Organisation et animation par Caroline Marcoux-Gendron, candidate au doctorat en études urbaines à l’INRS – caroline.marcoux-gendron@ucs.inrs.ca




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